Toiles récentes
à propos des derniers paysages imaginaires
Ce qui arrive nous atteint; laisser venir pour apprendre qui nous sommes.
Vision libérée du peindre sur le voir? Du peindre pour le voir.
Comme si le sujet de la peinture était devenu la peinture elle – même.
Ne rien savoir de ce qui va advenir, en avoir peur puis compatir avec ce qui a été rendu visible et si ce n’était que cela? Peindre la peinture en gardant le désir de résoudre l’accord avec tel ou tel acte pictural d’une époque où tout a été tenté.
Jeu d’espiègleries où l’on ne sait qui est le maître; tentative du ressouvenir piégé dans une expérience picturale aux frontières incertaines?
Cette inexistence de modèle «d’après nature» refonde l’enjeu du propos. Cette absence de monde sensible fait courir la figuration vers un lieu imprévu, sans arbres remarquables, dans certains endroits en friches où une couverture végétale silencieuse est souvent hantée d’obscurités, des panoramiques négligeant les lois de la perspective, des territoires relégués hors les murs dans un temps suspendu.
La libération vient après une longue errance du pinceau. Dans un geste où le lieu créant une sorte de non lieu, décode et déchiffre. Cela est car cela fut.
…Françoise Maisonnat est née en Dauphiné.
Après ses études aux Beaux -Arts, elle enseigne les arts plastiques et expose en France et à l’étranger ; sa recherche plastique s’organise autour d’écritures colorées sur des formats de taille différents et de techniques mixtes.
Couleur portée par l’inscription d’un geste, d’une intensité d’énergie, … Celle- ci raconte l’histoire de la couleur qui en rencontre une autre mue par un désir d’espaces multiples qui se conjugue tantôt en harmonie, tantôt en rupture constituant des couches successives plus ou moins lisibles.
Ne pas imposer – choisir de laisser … faire voir qu’il y a quelque chose que l’on peut concevoir sans savoir à l’avance, jusqu’à ce que « cela » advienne:
Un poisson, un oiseau, une grenouille, un bateau dans la tempête, venus de la profondeur de la mémoire, mis au jour grâce à la couleur, comme cette part d’invisible qui hante le visible.
Telle une écriture colorée avec pinceaux
Avec un vide de l’intérieur de la main – l’esprit libéré vole au regard son regard ; ne plus savoir de l’histoire son sens – ne plus être son obligé.
Lignes d’énergie, fulgurances, dislocations, rencontres, impossibles infinis , vitesses de précipitation, folies dansées. Peindre une musique visible?
Chez Debussy, on rencontre le paradoxe le plus singulier: le mouvement immobile, l’immobilité du mouvement; le tourbillon, le tournoiement, le mystère de l’instant – Dans mes images, chemin de mots, de pensée, de lumière.
Souffle du désert et du ciel aujourd’hui, le vent frissonne la mer. .
Formats divers, supports toiles ou papier, dans les pas de Pollock, Sam Francis, Bran van Velde, Picasso, Matisse, Klee, Michaux, Alechinsky pour traiter de la question rémanente du passage de l’invisible au visible.
Images de mémoire brouillées, superposables, de cités visitées:
Venise, Malte, Athènes, Londres, Prague, Barcelone, Nicosie, Tunis, façades d’histoire, chaleur des ocres, ombres des crépuscules, pavé brillant après la pluie, à l’heure où la place devient une ruche…
Derniers signes de lieux identifiables, submergés de couleurs
Aujourd’hui rabattant la figure à un fond perdu, ainsi va notre appétit des choses, en passante voyageuse arpentant l’histoire des mondes.
Interroger la surface des choses, interroger l’image où le rocher devient mur. Seule la lumière, la couleur du monde comptent, c’est notre regard sur les choses qui les fonde. Il n’y aurait plus seulement le présent, cette présence au monde ( la plus juste mesure du temps de l’action, de l’être) mais aussi…. Ce morcellement, cette atomisation du regard, des points de vues, de la mémoire aussi : pas d’organisation préméditée, seule la création qui s’impose en s’improvisant par des éléments colorés postés entre la scène et nous, comme en écran, quoique très fugitifs!
Comment les atteindre? En en cherchant la révélation. Par ce besoin de saisissement qu’offre la création et interrogés à posteriori pour qu’enfin la question définitive soit posée: (soustraire ou garder) que donner à voir ?
C’est un peu sauvage, enlevé car creuser, souder entre les pistes qui viennent à ma rencontre sont autant d’imprévus qui rendent le cheminement chaotique, et pourtant, le long de ces fragments, pièces détachées, c’est tout un archipel qui s’organise avec autant ce qui a été perdu que trouvé. Ce n’est pas la narration qui est initiatrice de cette organisation de formes, l’emploi de la couleur, le poids de la passion engagée, sa retenue, mais le contraire.
Et peut-être aujourd’hui dans mon territoire chargé de toute une vie, reconnaître le miracle de l’existence dans un projet où je peux modestement et en dépassant mes craintes essayer de le réinventer à mon tour; cette chair du monde au-delà de toutes les questions que les grands artistes ont déjà posées en termes de couleurs formes et lumières…